GYNÉCOLOGIE ET SANTÉ DES FEMMES
 
LA DEMANDE DE SOINS

Réflexion

La santé des Françaises dans les vingt prochaines années
Le poids des évolutions démographiques

Henri Leridon

L'importance des problèmes de santé auxquels le pays sera confronté dans les prochaines décennies dépend de trois évolutions principales : celle des effectifs concernés, celle des comportements individuels, et enfin celle du système de soins. On examinera prioritairement ici la première, qui résulte des évolutions démographiques, tout en mentionnant quelques changements de comportement d'ores et déjà en cours.

Les femmes partagent avec les hommes un grand nombre de questions de santé. C'est à leurs problèmes plus spécifiques que l'on s'intéressera ici : ce sont essentiellement ceux de la santé reproductive et ceux du vieillissement puisque la longévité des Françaises est très supérieure à celle des Français.

Globalement, la population de la France devrait augmenter d'environ 7 % au cours des vingt prochaines années. Les projections les plus récentes de l'INSEE ont été réalisées en 1994-1995, sur la base du recensement de 1990 [2,3]. L'hypothèse centrale prenait en compte une évolution "tendancielle" de la mortalité (l'espérance de vie passant, pour les femmes, de 82,9 ans en 2000 à 86,4 ans en 2020), le maintien d'une fécondité à 1,8 enfant par femme (descendance finale des générations nées après 1970), et un solde migratoire positif de 50000 par an. Les projections partant de l'année 1990, les valeurs des divers indicateurs pour l'année 1999 étaient déjà des valeurs projetées : ainsi, la population totale devait atteindre 59,146 millions au 1er janvier 1999, alors que le dernier recensement n'en a trouvé que 58,516 au 1er mars 1999, et que les estimations faites au fil des ans conduisaient à 58,970 à la même date.

L'écart entre la projection de 1994-1995 et l'estimation en continu est faible, mais celui avec le recensement est plus important. Comme nous nous intéresserons ici aux évolutions, on pourra considérer que la projection centrale de l'INSEE reste cohérente avec les tendances constatées, y compris en termes de mortalité et de fécondité puisque les écarts constatés résultent essentiellement des difficultés d'estimation des soldes migratoires.

Sur cette base, donc, la population totale augmentera de près de 7 % au cours des vingt prochaines années ; pour la population féminine, la hausse attendue atteint 8 %, soit 2,43 millions supplémentaires. Mais l'évolution n'est évidemment pas la même dans tous les groupes d'âge.

Aspects de la santé reproductive

Globalement, la période reproductive couvre l'intervalle 15-49 ans. Les naissances sont possibles à l'intérieur de ces limites, le suivi gynécologique y est souhaitable, et la contraception nécessaire en cas d'exposition à une grossesse non voulue. L'essentiel de l'activité de gynécologie et d'obstétrique concerne donc ce groupe d'âge. On peut cependant resserrer un peu la fourchette, si l'on s'intéresse plus spécifiquement au suivi des grossesses et des naissances vivantes : 95 % d'entre elles interviennent entre 20 et 39 ans. C'est aussi à ces âges que les demandes d'aide médicale à la procréation sont concentrées. Par ailleurs, la ménopause intervient en moyenne vers 50 ans, et dans 80 % des cas elle se situe entre 45 et 55 ans [5] : le nombre de femmes candidates à un traitement périménopausique dépend donc du nombre de femmes âgées de 45-54 ans. Le tableau 1 donne l'évolution de ces divers indicateurs, qui est aussi représentée sur la figure 1.

tab 1
Tableau 1
Projections de population féminine, par grands groupes dÕâge (Source : INSEE [2] )

 

fig 1
Figure 1
Évolution de la population féminine : âges reproductifs et 50 ans et plus.

 

Le nombre total de femmes d'âge reproductif (15-49 ans) diminuera légèrement au cours de la période, surtout dans sa seconde moitié, passant de 14,6 millions à 13,8 millions.
Celui des femmes de 20-39 ans évoluera semblablement, passant de 8,4 à 7,9 millions.
Le nombre de femmes en périménopause augmentera légèrement (de 4,1 à 4,3 millions, mais celui des femmes déjà ménopausées (50 ans et plus) augmentera très fortement, de 10,4 à près de 14 millions.

Aspects du vieillissement

La hausse des effectifs des personnes les plus âgées, et spécialement des femmes, constituera l'évolution démographique majeure des prochaines décennies.
La tendance générale, résultant de l'allongement de la vie, est cependant parfois infléchie par les variations dans les effectifs des générations arrivant aux plus grands âges (figure 2) : c'est ainsi que le nombre de femmes âgées de plus de 85 ans diminuera jusqu'en 2005 sous l'effet des générations creuses de 1914-1918, et que l'augmentation des plus de 65 ans s'accélérera à partir de 2010, quand les générations du baby-boom commenceront à atteindre cet âge. Mais, au total, l'effectif des groupes âgés augmentera de plus du tiers en vingt ans, la hausse approchant même les deux tiers pour les personnes très âgées (85 ans et plus).

fig 2
Figure 2
Évolution de la population féminine : groupes âgés.

 

Cette évolution entraînera certainement une augmentation de la demande de soins, beaucoup plus importante que dans les groupes d'âge inférieurs à 65 ans, mais d'une nature sûrement assez différente. La très forte hausse du nombre de femmes dépassant 85 ans (+ 64 %) peut faire craindre une augmentation parallèle des situations de dépendance et d'incapacités diverses, puisque la prévalence des incapacités augmente fortement (exponentiellement) avec l'âge. En fait, si les résultats des premiers travaux sur l'espérance de vie avec incapacités se confirment, cette augmentation se trouve actuellement freinée : d'une génération à la suivante, le nombre moyen (par personne) d'années passées avec incapacités resterait à peu près constant, bien que les âges concernés se décalent progressivement vers le haut. La raison en est que les gains continus de longévité retardent constamment le décès et le début des incapacités, renvoyant en somme à demain des inconvénients qui auraient pu apparaître aujourd'hui. Cette situation peut se prolonger aussi longtemps que progresse l'espérance de vie : si celle-ci venait à s'interrompre, le nombre des personnes en situation de dépendance ou d'incapacités augmenterait beaucoup plus rapidement.

Les âges clés évoluent-ils ?

Ce "report du vieillissement" à des âges de plus en plus élevés conduit à poser plus généralement la question de la constance des divers âges frontières utilisés ci-dessus.

Pour les limites de la période potentiellement reproductive, elles n'évoluent probablement pas de façon très significative : l'âge médian de la puberté semble se stabiliser vers 13 ans [4], et l'âge moyen à la ménopause dépendra à l'avenir davantage du développement des traitements de la ménopause que d'une éventuelle évolution naturelle [5]. L'âge aux premiers rapports sexuels, qui commande les besoins en méthodes de contraception, s'est stabilisé, pour sa part, vers 18 ans pour les femmes [1].

Reste l'âge de la maternité. Il s'élève régulièrement depuis une vingtaine d'années, et dépasse maintenant 29 ans, la première naissance intervenant un an et demi à deux ans plus tôt. Le décalage du calendrier des naissances se ressent aussi aux âges élevés : le taux de fécondité à 40-44 ans est en hausse, mais comme cette élévation fait suite à une longue période de baisse, le taux reste très inférieur aux valeurs observées dans les années cinquante ou soixante. Le mouvement peut se poursuivre encore quelques années, mais il finira par se heurter aux limites biologiques : la fertilité diminue rapidement après 40 ans, et l'arrivée des enfants ne peut donc pas être indéfiniment retardée. Du reste, les Françaises estiment qu'il n'est plus souhaitable d'avoir d'enfant après l'âge de 41 ans, en moyenne [7]. Malgré les possibilités offertes par les méthodes médicales d'aide à la procréation, le véritable défi des prochaines décennies restera de rendre compatibles les rythmes familiaux avec les rythmes sociaux : formation, activité, temps et horaires de travail, modes de garde des enfantsÉ

Bibliographie

[1] Bozon M. L'entrée dans la sexualité adulte : le premier rapport et ses suites. Population 1993;48(5):1317-52.

[2] Dinh QC. La population de la France à l'horizon 2050. Économie et Statistique 1994;274:7-32.

[3] Dinh QC. Projections de population totale pour la France métropolitaine. Base RP90, horizons 1990-2050. INSEE Résultats 1995:n°412.

[4] La Rochebrochard E. Les âges de la puberté des filles et des garçons en France. Mesures à partir d'une enquête sur la sexualité des adolescents. Population 1999;54(6):933-62.

[5] Leridon H. Démographie de la ménopause. Quelques données. Gynécologie internationale 1997;6(10):330-1.

[6] Robine JM, Mormiche P. L'espérance de vie sans incapacité augmente. INSEE-Première 1993:n°281.

[7] Toulemon L, Leridon H. La famille idéale : combien d'enfants et à quel âge ? INSEE-Première 1999:n°652.

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© 2000, Jean Cohen, Patrick Madelenat, Rachel Levy-Toledano - ISBN 2-86911-958-5
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Diffusion sur l'internet : CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) (30 mai 2000)