GYNÉCOLOGIE ET SANTÉ DES FEMMES
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LA DEMANDE DE SOINS
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Daniel Dargent
Depuis toujours tout le monde rêve d'une médecine dans laquelle
les interventions chirurgicales disparaîtraient. Pendant le siècle
qui vient de s'écouler c'est le contraire qu'on a pu observer.
L'anesthésie et l'antisepsie ont permis que naisse et se développe
une chirurgie de plus en plus agressive en même temps que
sophistiquée et précise. Puis, à la fin de ce siècle,
on a vu, dans bien des domaines apparaître des solutions alternatives
qui ont fait s'écrouler de grands pans de la chirurgie d'antan en
même temps qu'apparaissaient de nouvelles méthodes chirurgicales,
moins agressives. Ce mouvement va-t-il se poursuivre ?
Les nouveaux médicaments, les nouveaux traitements percutanés,
les nouvelles interventions endoscopiques ne vont-ils pas faire disparaître
totalement la chirurgie ? La chirurgie minimalement agressive va-t-elle
complètement remplacer la chirurgie traditionnelle ?
Et si cette nouvelle chirurgie, parce que moins coûteuse et moins
dangereuse que les alternatives dites non chirurgicales, ouvrait de nouvelles
perspectives aux chirurgiens ?
Et à ce propos où s'arrête la médecine ? Où
commence la chirurgie ?
Bien fol qui prétendrait vouloir répondre. C'est pourtant le
rôle qui m'est assigné.
C'est le fibrome utérin qui motive 80 % des hystérectomies. Les traitements émergeants vont-ils faire disparaître l'hystérectomie ? La technique laparoscopique va-t-elle faire disparaître les techniques classiques ? Avant de répondre à ces questions, il convient de rappeler que la plupart des fibromes sont asymptomatiques et ne méritent aucun traitement, quelle qu'en soit la nature. Les gynécologues des pays latins le savent qui font deux à trois fois moins d'hystérectomies que les gynécologues anglo-saxons. Mais un dérapage est toujours possible au prétexte du caractère moins agressif des nouvelles méthodes thérapeutiques. Qu'on y prenne garde !
Après le tapage fait autour des analogues du GNRH dont on avait proclamé à tort qu'ils allaient faire disparaître la chirurgie, apparaît l'embolisation. La méthode n'est pas inoffensive (risque de dissection artérielle). Elle n'est pas toujours efficace : 20 % des patientes restent symptomatiquesÉ et devront finalement être soumises à l'hystérectomie dont le prix de revient (humain et économique) est augmenté d'autant. Elle ne s'applique pas aux fibromes intra-cavitaires et aux fibromes volumineux, c'est-à-dire à ceux qui représentent le gros des indications chirurgicales. L'embolisation, comme les analogues, apparaît d'ores et déjà comme une méthode adjuvante ou plutôt néoadjuvante : préparation à l'intervention chirurgicale (myomectomie ou hystérectomie) à réserver à des indications sélectionnées.
L'hystérectomie laparoscopique tarde à s'imposer comme alternative à l'hystérectomie traditionnelle. Mise au point en 1987 elle n'est aujourd'hui choisie que dans 10 % des cas (pas plus de 2 % dans les établissements privés dont la pratique reflète mieux l'impact des nouvelles méthodes). Pendant le même temps, la voie d'abord vaginale qui était choisie dans 5 % des cas seulement au début des années soixante-dix est utilisée aujourd'hui dans plus de 50 % des cas. C'est une méthode plus que centenaire. Elle est à la mode. Tout permet de penser qu'elle le restera... tant que l'hystérectomie continuera à avoir des indications.
Le fibrome n'est pas la seule maladie non maligne à motiver l'hystérectomie. Les ménorragies rebelles représentent la deuxième grande indication. C'est autour de cette indication que les choses bougent le plus : la thermo-ablation, l'endométrectomie hystéroscopique, l'hystérectomie fundique laparoscopique sont présentées comme des alternatives à l'hystérectomie classique. L'expérience montre malheureusement que leur introduction n'a nullement fait baisser le nombre des hystérectomies : on opère plus de malades... et on fait toujours autant d'hystérectomies !
C'est des traitements médicaux que sont attendus les vrais progrès. L'hormonothérapie a fait les preuves de ses limites mais la voie intra-utérine (DIU au levonorgestrel) semble pleine d'avenir pour le traitement des ménorragies rebelles en tout cas. Quant aux fibromes, je parierais volontiers sur la biologie moléculaire. On devrait pouvoir identifier le ou les gènes dont la mutation est à l'origine de la léiomyomatose qui, dans la majorité des cas, reconnaît un caractère familial. On devrait, à partir de là, identifier des protéines qui induisent la tumorigenèse et mettre au point des vaccinothérapies curatives et préventives.
La biologie moléculaire porte l'essentiel des espoirs de la communauté scientifique dans le domaine de la prise en charge des pathologies tumorales malignes. Pour le cancer du col qui, au niveau mondial, est le plus fréquent des cancers des organes génitaux féminins des vaccinothérapies sont à l'essai. Ce n'est pas demain que les résultats en seront connus. Mais il n'est pas déraisonnable d'espérer. Pour les autres cancers dont l'histoire naturelle n'est pas aussi bien disséquée, il faudra attendre plus longtemps. La chimiothérapie et les traitements médicaux non cytotoxiques (les inhibiteurs de la néo-angiogenèse par exemple), entre-temps, continueront à progresser. La chirurgie va-t-elle disparaître ?
La chirurgie des cancers des organes génitaux féminins a d'ores et déjà changé. Elle est devenue, grâce à la chirurgie laparoscopique, moins agressive et plus précise. La diffusion de cette nouvelle chirurgie, toutefois, est extrêmement lente. Pour la chirurgie des tumeurs intrapéritonéales, cancer de l'ovaire essentiellement, on redoute le risque de dissémination lié aux manipulations faites sous insufflation de CO2 : la technique gazless est la réponse à cette question. Pour la chirurgie des tumeurs rétropéritonéales, cancer du col et adénopathies satellites des cancers utérins et ovariens, les réticences ont des motivations différentes.
Dans la prise en charge des cancers du col la lymphadénectomie pelvienne
laparoscopique est une opération d'exécution simple et relativement
rapide. Elle reste pourtant peu utilisée.
La raison en est qu'elle débouche sur des opérations qui, elles,
sont des opérations requérant un niveau de compétence
qui n'est pas celui du chirurgien gynécologue non spécialisé
: l'hystérectomie radicale vaginale ou, plus difficile encore,
l'hystérectomie radicale laparoscopique. La vraie question est : est-il
encore licite, dans le contexte d'une raréfaction croissance des cas,
de laisser à des non-spécialistes la prise en charge des cancers
du col utérin ?
Au-delà de la question de la compétence du chirurgien se pose
une question beaucoup plus fondamentale concernant la place de la chirurgie
laparoscopique en oncologie gynécologique : chirurgie d'évaluation
et/ou chirurgie d'exérèse ? Les réponses varient.
Ma réponse est : chirurgie d'évaluation uniquement. La chirurgie
laparoscopique n'est pas adaptée à l'extirpation des tumeurs
des organes génitaux. Elle peut aider à préparer cette
extirpation mais elle est faite surtout pour évaluer l'environnement
(ganglionnaire lymphatique en particulier) en complément de l'imagerie
et pour poser l'indication thérapeutique. Or c'est là,
précisément, que se trouve l'avenir de la chirurgie
cancérologique en général.
L'époque de la chirurgie cancérologique héroïque n'est pas révolue. Dans le domaine gynécologique, on assiste à un renouveau de l'exentération pelvienne qui, combinée à la radiothérapie peropératoire donne, dans les cas désespérés, 30 % environ de guérison sans qu'il ne soit plus nécessaire d'imposer des dérivations urinaires et fécales. Mais ce n'est pas là que se trouve l'avenir.
L'avenir de la chirurgie cancérologique est d'être l'auxiliaire de la radiothérapie et des thérapeutiques médicales. Ces traitements ne sont évidemment pas dépourvus de danger surtout quand on les utilise concurremment. Ils doivent être utilisés à bon escient c'est-à-dire après l'inventaire le plus complet possible. Or l'imagerie fait des progrès mais rien ne peut remplacer l'analyse d'une pièce opératoire.
Dans les cancers au début la tumorectomie associée à la lymphadénectomie permettent à la fois de guérir les cas à "bas risque" et de sélectionner les cas à "haut risque" qu'il faut soumettre aux traitements adjuvants.
Dans les cancers évolués, la stadification chirurgicale est réduite aux prélèvements biopsiques et/ou à la lymphadénectomie. Le traitement est assuré par la radiothérapie et/ou les traitements médicaux (chimiothérapie aujourd'hui, immunothérapie et autres demain). La restadification chirurgicale permet de juger le résultat et de moduler la poursuite de ces traitements. La place de la chirurgie laparoscopique sera prépondérante dans cette chirurgie de restadification.
La pathologie tumorale bénigne du sein n'est pas une pathologie
chirurgicale.
Mais dans un contexte où l'incidence du cancer du sein augmente et
où le dépistage s'étend on est de plus en plus souvent
confronté à la question de la vérification chirurgicale
d'une image douteuse dont on sait par avance qu'elle a une chance sur deux
de ne correspondre qu'à une pathologie bénigneÉ ou
inexistante. Les nouvelles méthodes de prélèvement
tissulaire sous guidage stéréotaxique feront sûrement
baisser le taux des "mammotomies blanches". Mais la peur des faux négatifs
conduira toujours à poser des indications chirurgicales.
Le cancer du sein est, de tous les cancers, celui qui a le premier, et de
la façon la plus significative, bénéficié du
mouvement favorisant la chirurgie dite radicale conservatrice.
On est passé de la mastectomie élargie à la mastectomie
simple puis à la combinaison tumorectomie/lymphadénectomie
axillaire. La lymphadénectomie axillaire, dont les inconvénients
ne sont pas négligeables, est maintenant repoussée par certains
au motif que son intérêt principal est, en sélectionnant
les cas N+, de sélectionner les indications de la chimiothérapie
qui, de toute façon, est maintenant administrée
systématiquement dès que le diamètre tumoral dépasse
1 cm et sera probablement, un jour prochain, administrée à
toutes les patientes.
Il n'apparaît pas raisonnable, dans les formes dites opérables, de se passer des informations que donne l'examen de la pièce de tumorectomie-curage et on peut penser que ces informations seront pour les traitements de demain plus importantes encore qu'elles ne le sont pour les traitements aujourd'hui. La chirurgie, j'en prends le pari, restera donc la base du traitement. Mais la chirurgie du sein deviendra une chirurgie d'oncoplasticien dans laquelle on se souciera de planifier dès le départ le remodelage de l'organe si on l'enlève, bien sûr, mais aussi si on se contente de n'en enlever qu'une partie. Quant au curage axillaire, il est à peu près certain que la lymphadénectomie systématique sera remplacée, ou plutôt orientée, par la recherche du ganglion sentinelle, un concept qui s'étendra d'ailleurs de plus en plus à l'évaluation des autres cancers, cancers des organes génitaux inclus (un autre domaine où la laparoscopie verra son champ d'action s'étendre).
Le jour où tous les accouchements se feront par césarienne le prolapsus génital et l'incontinence urinaire d'effort disparaîtront. Pour l'heure, le vieillissement de la population apporte au contraire un nombre grandissant de nouveaux cas. La rééducation est un apport important. Les opérations a minima permettent de résoudre avec élégance le problème des incontinences isolées. Mais les grandes ptoses génitales restent du domaine chirurgical, domaine dans lequel les partisans de la voie haute et de la voie basse continuent à s'affronter.
Les opérations par voie basse ont, dans les deux dernières décennies du xxe siècle, gagné des partisans. Elles sont évidemment moins traumatisantes que les opérations par voie haute, et elles sont plus "physiopathologiques" puisqu'elles visent à reconstruire le plancher pelvien dont les altérations sont à l'origine du syndrome. Les opérations par voie haute, dans lesquelles on suspend les organes ptosés aux margelles du pelvis, sont des opérations palliatives et elles sont, du fait de la laparotomie, plus agressives.
L'intrusion de la laparoscopie a, dans les toutes dernières années
du siècle, changé la donne. On peut maintenant faire les
suspensions hautes "sans ouvrir". De quoi sera fait l'avenir ?
Je ne prendrai là aucun pari. Je me contenterai d'indiquer que la
chirurgie laparoscopique des prolapsus génitaux est une chirurgie
d'hyperspécialistes pour ne pas dire de virtuoses ce qui, pour une
pathologie aussi fréquente, en limite l'intérêt.
Les considérations sur les difficultés d'exécution de
la nouvelle chirurgie conduisent tout naturellement à évoquer
l'apport de la robotique dont on peut à tout coup parier qu'elle va
entrer en force dans la pratique chirurgicale. Les chirurgiens n'en seront
pour autant pas réduits au chômage. Le robot fera mieux qu'eux
les dissections, les résections, les suturesÉ tous les gestes
des plus simples aux plus complexes. Mais le robot n'aura jamais la science
de l'anatomie chirurgicale et la connaissance de l'anatomie pathologique
qui, beaucoup plus que son habileté manuelle, font le chirurgien.
Le chirurgien de demain travaillera différemment mais ce sera toujours
un spécialiste hyperqualifiéÉ et hyperoccupé
car le robot ne travaillera pas à sa place mais sous ses ordres.
La version sur papier de
cet ouvrage a été réalisée par : Editorial Assistance - 18, rue Camille-Desmoulins - 92300 Levallois-Perret - Tél. : 01 41 34 02 60 © 2000, Jean Cohen, Patrick Madelenat, Rachel Levy-Toledano - ISBN 2-86911-958-5 Diffusion : Eska - 12, rue du 4-septembre - 75002 Paris - Tél. : 01 42 86 56 00 - Fax : 01 42 60 45 35 Diffusion sur l'internet : CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) (30 mai 2000) |