GYNÉCOLOGIE ET SANTÉ DES FEMMES
 
LA DEMANDE DE SOINS

Réflexion

La stérilité et l'assistance médicale à la procréation

Bernard Hédon

On associe volontiers la fertilité à la féminité. Un livre sur la santé des hommes en France n'aurait sans doute pas inclus de chapitre particulier sur la contraception et la stérilité.
Un ouvrage sur la santé des femmes, non seulement inclut ces questions, mais aussi ce qui est en rapport avec les anomalies de fertilité de leurs compagnons. Ceci n'est qu'un signe de plus que la fertilité est avant tout l'affaire des femmes. De tout temps, elles en sont le symbole. Les connaissances modernes, si elles ont mis en évidence que l'homme est aussi souvent en cause que la femme lorsqu'un couple n'arrive pas à concevoir, n'ont pas modifié la prise en charge de la stérilité, la femme ayant à subir la plus grande partie des explorations et des traitements.

La France, comme tout pays dans le monde et à toute époque, quelle que soit la société concernée et son degré d'avancement sanitaire, connaît la stérilité. On estime qu'environ 10 % des couples viendront consulter un jour en raison d'une difficulté à procréer.
Il est difficile d'aller plus loin dans cette estimation, car elle dépend du temps que le couple veut bien se donner avant de considérer qu'il risque d'y avoir un problème. Il est probable que les citadins viennent consulter plus vite que ceux qui habitent une zone rurale.
Il est certain que plus le couple avance en âge, plus il est enclin à solliciter de l'aide rapidement. Pourtant, parmi tous les couples qui consultent, environ la moitié arriveraient à obtenir spontanément la grossesse désirée. La stérilité absolue n'atteint qu'une minorité.
Le problème est d'une part de savoir si le couple fait partie de ces derniers ou non, et d'autre part, au cas où une grossesse spontanée est apparemment possible, quand celle-ci interviendra. Le plus souvent une réponse claire ne peut être donnée, et c'est la raison pour laquelle des traitements sont parfois tentés sans que pour autant on ait la certitude qu'ils soient indispensables.

La France est probablement un des pays du monde dans lequel la prise en charge de la stérilité conjugale est la meilleure grâce à l'évolution de notre société, à son développement économique et à une couverture médicale et sociale quasi universelle.

Épidémiologie

On dit que l'infécondité va en augmentant. Cela est probablement vrai bien qu'il soit difficile de le démontrer. L'augmentation du nombre des consultations médicales peut être due à une plus grande impatience de la part des couples, ou au développement de l'offre de soins et des performances thérapeutiques. En particulier, les possibilités offertes par les techniques d'assistance médicale à la procréation (AMP) ont joué un rôle de révélateur, tant pour les couples qui souffrent d'infertilité que pour les autres qui ont pu découvrir la réalité de cette pathologie par les articles et les émissions qui lui ont été consacrés.

Il est habituel d'accuser les infections génitales d'être la première cause d'infertilité.

En France, ce n'est pas le cas. Sans nier les conséquences qu'une infection génitale, le plus souvent causée par un germe sexuellement transmissible, peut avoir aussi bien chez l'homme que chez la femme, force est de constater que cette cause n'est pas majoritaire parmi les couples qui viennent consulter pour infécondité. Les campagnes de prévention de l'infection par le virus de l'immunodéficience humaine (VIH) ont eu un impact positif sur la prévention des maladies sexuellement transmissibles en général. Mais cet effet n'est que transitoire si l'effort n'est pas renouvelé de façon régulière afin de sensibiliser toutes les générations.

La principale cause d'infécondité est méconnue du grand public. Notre société évolue spontanément vers une aggravation du phénomène. Il s'agit en effet de l'âge auquel les couples désirent avoir un enfant, qui ne cesse de reculer. Or, la baisse de la fécondité en fonction de l'âge est telle, que, lorsqu'un couple décide qu'il est temps d'avoir un enfant et que la femme a 40 ans, il mettra quatre fois plus de temps pour l'obtenir et il a deux fois moins de chances d'y arriver. Le phénomène commence à être sensible à partir de l'âge de 30 ans. L'âge moyen des femmes enceintes est passé en l'espace de quelques années de 25, à 27, puis maintenant à quasiment 30 ans. Ce glissement de près de cinq ans de l'âge moyen de la conception cache, si l'on n'en est pas averti, une autre réalité qu'on peut constater quotidiennement dans un cabinet de consultation de l'infertilité : de plus en plus de patientes qui ont la quarantaine, et parfois plus, et qui se considèrent à juste titre comme jeunes eu égard à leur espérance de vie, désireraient avoir un enfant et se trouvent piégées par la contradiction qui oppose le sentiment d'urgence, à cause de l'âge, et la notion d'une fertilité diminuée.

Ce phénomène n'est pas l'apanage de la France qui est même probablement une des sociétés occidentales les moins touchées, contrairement à ses voisines du Sud, Italie ou Espagne, ou aux pays nordiques. Mais prenons garde que la situation ne s'aggrave, d'autant que la médecine ne peut rien, ou peu de chose. Si elle sait corriger beaucoup de pathologies, la médecine est démunie quand il s'agit de modifier des phénomènes physiologiques.

Organisation des soins

Par son réseau d'hôpitaux et de cliniques, sa densité médicale, son double secteur, privé et public, la France offre une qualité de prise en charge médicale qui peut nous être enviée par de nombreux autres pays. Cela se vérifie aussi dans le domaine de l'infertilité.
Toutes les grandes villes et toutes les régions ont des équipes qui s'intéressent à la question et ont acquis compétence et notoriété. Il faudrait cependant distinguer ce qui serait soins "primaires", de la compétence du médecin traitant ou du spécialiste gynécologue non différencié dans le domaine de l'infertilité, et soins "secondaires" nécessitant l'intervention de personnels très spécialisés provenant de disciplines diverses (gynécologie obstétrique, biologie de la reproduction, endocrinologie, andrologie).
Comme souvent en pareil cas, il tend à y avoir confusion, les couples s'adressant volontiers d'emblée à un centre agréé pour l'AMP. Il y a un risque certain de voir les gynécologues se désintéresser de la question, n'y ayant plus accès de façon régulière. Il est probable aussi que cela favorise la fréquence des recours aux techniques d'AMP.

Les soins concernant l'infertilité sont intégralement pris en charge par l'assurance maladie. L'exonération du ticket modérateur est quasi systématiquement accordée par les médecins inspecteurs, sur la foi d'une attestation délivrée par le médecin traitant. Celle-ci est renouvelable pendant plusieurs années. Il est rare de voir un couple se faire refuser la prise en charge intégrale des soins. Cependant le nombre de tentatives de fécondation in vitro ou d'insémination, qui sont soumis à entente préalable, est limité : jusqu'à quatre tentatives avec transfert embryonnaire pour la fécondation in vitro ou l'ICSI, et jusqu'à six inséminations au maximum.

Ce remboursement des soins liés à l'infertilité est loin d'être la règle dans les autres pays.
La stérilité n'est pas toujours associée à une "maladie" et les couples infertiles ainsi que les sociétés scientifiques médicales ont du mal à faire comprendre à leurs gouvernants l'importance de la question et la détresse ainsi que le sentiment d'abandon que peuvent ressentir les couples concernés.

Fort heureusement, cela n'est pas le cas en France, la prise en considération de la stérilité par les organismes sociaux ayant été une des mesures d'accompagnement de la prise en charge des interruptions volontaires de grossesse. La conséquence en est un accès aux soins grandement facilité pour toutes les couches de la population. Cela est aussi une des raisons pour lesquelles le nombre de centres de traitement qui se sont développés est un des plus élevés des pays médicalement développés.

Aspects réglementaires

Les activités d'AMP sont soumises à la loi dite de bioéthique de 1994. Cette loi, suivie de nombreux décrets d'application fixe un cadre de fonctionnement et instaure une réglementation très stricte sur les pratiques qui sont soumises à agrément et sur lesquelles les centres doivent fournir des rapports réguliers. Cette loi a contribué à mettre un frein au développement anarchique de la pratique des techniques d'AMP, a permis un développement harmonieux des standards d'efficacité, les résultats étant assez comparables d'un centre à un autre, et a évité les dérapages humains et éthiques qui ont pu se voir dans d'autres pays. Cependant, l'excès de frilosité sur certaines questions a été la cause de retards pris par notre pays dans certains domaines. Cela a été le cas lorsque les techniques de microinjection de spermatozoïdes (ICSI) sont apparues, retard maintenant rattrapé tant ces techniques ont pris d'importance. Cela a aussi été le cas pour le diagnostic préimplantatoire, qui commence tout juste alors que de nombreuses éthiques ont déjà bien avancé dans d'autres pays et ont pu établir, sans contribution française, des standards de pratique qu'il va bien falloir suivre maintenant. Cela risque encore d'être le cas pour les recherches qu'il convient de mener sur l'embryon. Les règles instaurées en France sont telles que la contribution française est gravement handicapée. Il est toujours dangereux de laisser développer par d'autres les domaines sensibles, car on peut y exercer encore moins d'influence et de contrôle éthique.

La loi et la réglementation qui ont contribué positivement à la qualité technique des centres de traitement en les soumettant à agrément et donc à un label de qualité ont eu aussi pour effet de limiter en pratique à ces centres la prise en charge médicale de la stérilité. Rapidement les couples passent de leur médecin traitant, même s'il est spécialiste, à un praticien travaillant dans un centre agréé. La révolution biologique a été la source d'un grand progrès pour l'ensemble des gynécologues obstétriciens grâce aux connaissances nouvelles et à la meilleure compréhension des mécanismes de la reproduction. La séparation des praticiens entre ceux qui peuvent pratiquer et ceux qui ne le peuvent pas est réductrice pour ces derniers, tant sur le plan intellectuel que du point de vue de la motivation. De plus, comme cela a déjà été souligné plus haut, il y a un effet d'attraction vers l'AMP, les autres techniques médicales de prise en charge pouvant parfois être un peu trop oubliées.

En conclusion, la France se trouve plutôt bien placée parmi les nations pour ce qui est de la prise en charge médicalisée de la stérilité. Compétence médicale, accès aux soins, organisation des centres de traitement, règles morales de fonctionnement sont réunis pour offrir aux femmes françaises une prise en charge de qualité. Le domaine où notre pays doit fournir un effort particulier est celui de la recherche. Il faut faire attention à ne pas être à la traîne dans ce domaine sensible qui évolue si vite car des décisions seront prises et de nouvelles habitudes créées sans que nous puissions y participer.

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© 2000, Jean Cohen, Patrick Madelenat, Rachel Levy-Toledano - ISBN 2-86911-958-5
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Diffusion sur l'internet : CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) (30 mai 2000)