GYNÉCOLOGIE ET SANTÉ DES FEMMES
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LA DEMANDE DE SOINS
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Laurent Mandelbrot
Le sida est une maladie marquante de la fin de siècle, dont l'irruption mondiale a réveillé bien des fantasmes. Nous entrons dans une longue période où les personnes infectées par le VIH pourront être traitées pour une affection chronique pas toujours mortelle, mais le sida n'aura pas disparu d'ici 2020. Ainsi, les gynécologues obstétriciens seront plus encore qu'aujourd'hui concernés par les défis de la prévention et de la prise en charge de l'infection par le VIH.
L'arsenal thérapeutique de 2020 comportera, d'une part des combinaisons
plus puissantes de nouveaux antirétroviraux agissant aux différentes
étapes du cycle réplicatif du virus, et d'autre part des moyens
d'immunothérapie non spécifique et spécifique. Des
progrès galéniques réduiront les contraintes pour les
patients : formés à libération prolongée, à
demi-vie longue ou implantable en souscutané. Les antirétroviraux
actuels sont responsables d'un grand nombre d'effets toxiques à court
terme. À plus long terme, ils favorisent les lipodystrophies
inesthétiques et pernicieuses pour l'adhérence au traitement,
et les hyperglycémies ou hyperlipidémies favorisant les accidents
vasculaires, a fortiori s'il existe des facteurs de risque associés,
tel que le tabac et les oestroprogestatifs.
Les médicaments mal tolérés seront remplacés,
mais il est illusoire d'imaginer des traitements sans effets secondaires.
Lorsque les trithérapies sont apparues en 1996, d'éminents
chercheurs ont estimé qu'il faudrait trois ans pour éradiquer
le virus. Ils avaient tort. Qu'il s'agisse des trithérapies ou de
cocktails encore plus puissants, ces combinaisons bloquent la réplication
virale, entraînant une "charge virale" d'ARN VIH plasmatique
indétectable. Pour que disparaisse le rétrovirus,
intégré sous forme provirale dans des cellules quiescentes
des tissus lymphoïdes,il faudra attendre la disparition progressive
de ce stock d'environ 1012 cellules infectées.
Une voie de recherche vise à détruire spécifiquement
ces cellules infectées. Combien de patients atteindront cet objectif
qui nécessite une adhésion parfaite et prolongée au
traitement, l'absence de résistance et une bonne tolérance
?
La recherche vaccinale a été négligée. Les obstacles sont nombreux, tels que la difficulté d'extrapoler les résultats obtenus chez le singe, la variabilité du VIH, la méconnaissance des corrélats immunitaires de la protection et les questions éthiques des essais vaccinaux. D'ici 2020, la vaccination thérapeutique ou immunothérapie active sera à l'ordre du jour. Quant à la vaccination protectrice, les chercheurs estiment que les candidats vaccins actuellement évalués n'apporteront pas de prévention efficace. On sait que certains sujets restent non infectés malgré de multiples contacts avec le virus, mais à l'inverse on a décritla réinfection de sujets infectés par d'autres souches virales. Même si un vaccin protecteur existe avant 2020, il est illusoire d'espérer qu'il supprimera le VIH.
On ne fera pas l'impasse sur la prévention, tout en comprenant que
les comportements sexuels échappent à la rationalisation. Les
campagnes menées sont souvent décriées, mais elles ont
augmenté l'usage des préservatifs et diminué l'incidence
de toutes les MST.
Le développement de virucides locaux en utilisation vaginale est un
objectif réaliste,qui permettra une prévention
maîtrisée par les femmes. La consultation de gynécologie
est donc un lieu privilégié d'information et de prévention.
En 2020, la grossesse chez une femme séropositive au VIH sera toujours
à risque.
À l'exception des femmes qui se seront débarrassées
du virus, il y aura besoin de traitements pendant la grossesse, et certaines
femmes se présenteront en échappement thérapeutique
avec des souches virales multirésistantes. La transmission
mère-enfant est en passe de devenir exceptionnelle, à condition
d'une prise en charge adaptée. Le premier tournanta eu lieu en 1994
avec la démonstration que l'utilisation de l'AZT en période
périnatale diminue de deux tiers le risque, et les stratégies
de prévention actuelles comportent les combinaisons
antirétrovirales, la césarienne étant programmée.
D'ici quelques années, la prévention de la transmission reposera
essentiellement sur la chimioprophylaxie, rendant exceptionnelle cette indication
de la césarienne.
Le risque d'effets secondaires chez l'enfant est une préoccupation
majeure.
Aujourd'hui, les craintes se concentrent sur la toxicité mitochondriale
des analogues nucléosidiques. Au-delà des quelques enfants
décédés ou ayant une cytopathie mitochondriale
symptomatique, combien d'enfants sont concernés et quelles en sontles
conséquences ? Comment diminuer ce risque et comment prendre en charge
les enfants ayant cette complication ? Surtout, quelles sont les toxicités
des autres classes d'antirétroviraux ? À mesure que le nombre
d'interventions possibles augmente, l'évaluation du rapport
bénéfice/risque au cas par cas devient de plus en plus complexe.
L'évolution de la prise en charge pluridisciplinaire dépendra
aussi de l'évolution du système de soins, de la place de
l'Internet, de la relation médecin-malade. La première cause
de transmissionà l'enfant est et restera l'absence de soins
périnataux appropriés. Cela peut être dû au refus
de suivi, à la difficulté d'accès au système
de soins, à une séroconversion au deuxième ou
troisième trimestre de grossesse, ou le plus souvent à une
absence de dépistage.
La France est en avance sur la plupart des pays en matière de
dépistage prénatal, mais des progrès restent à
faire.
Le traitement des infections à papillomavirus, condylomes ou dysplasies, particulièrement fréquentes chez les femmes séropositives au VIH, pose des problèmes particuliers, notamment du fait du taux élevé de récidive après traitement. Leur prise en charge devrait être bouleversée par les progrès des moyens de diagnostic et de pronostic, par le développement d'un vaccin anti-HPV, et par l'amélioration de l'état immunitaire des femmes traitées pour leur infection à VIH.
Des jeunes infectés depuis la naissance par le VIH arrivent
progressivement à l'âge de la vie sexuelle et de la reproduction
: ils sont la partie émergée de l'iceberg des enfants du
sida.
Il existe aussi ceux qui sont nés d'une mère et/ou d'un père
séropositifs, souvent orphelins, sans être eux-mêmes
contaminés. Certains pourront subir les complications de l'exposition
in utero aux antirétroviraux, comme le rappelle l'exemple du
distilbène, voire à l'exposition des gamètes maternels
ou paternels.
Le désir de grossesse dans des couples où l'homme est infecté par le VIH et la femme séronégative est devenu un motif de consultation fréquent. L'assistance médicale à la procréation, après préparation et test virologique ultrasensible des spermatozoïdes doit se développer à mesure que seront surmontés les obstacles techniques, réglementaires, et surtout financiers. Dans un contexte où le principe de précaution est souvent évoqué, il faut rappeler que le risque de contamination ne sera pas nul, ne serait-ce que du fait de la vie sexuelle (rupture de préservatif, rapports orogénitaux non protégés, etc.). Dans l'avenir, cette approche, lourde et coûteuse, pourrait devenir inutile. Les progrès thérapeutiques pourraient déboucher sur un traitement prophylactique, chez la femme exposée, bien plus efficace que ceux qui existent aujourd'hui, et on peut s'attendre à ce que la thérapeutique supprime l'excrétion du virus dans le sperme. On proposera alors des tests virologiques ultrasensibles sur quelques éjaculats. Si ces tests sont négatifs, tant pour l'ARN VIH que pour l'ADN proviral, les couples pourraient concevoir par des rapports naturels.
À l'inverse, l'AMP doit trouver sa place pour aider les couples qui présentent une stérilité. Les réels problèmes de sécurité posés par l'infection à VIH (comme l'hépatite C) doivent être résolus, et les indications et contre-indications de l'AMP ne devraient pas différer en fonction du statut sérologique. Il ne reste pas moins vrai que l'équipe a le devoir éthique de refuser une AMP dans les cas où la situation médicale ou personnelle du couple compromet gravement sa capacité à élever un enfant.
La mobilisation contre le sida reste plus que jamais nécessaire. Les
progrès fantastiques des connaissances et des traitements tendent
à banaliser cette maladie, et l'effet de nouveauté s'estompe.
Surtout, les puissants s'y intéressent moins à mesure que le
sida devient une "maladie des pauvres", frappant des couches
défavorisées dans les pays riches, et en premier lieu les habitant
du tiers monde. Pourtant, le nombre de malades augmente et de nouveaux
problèmes surgissent. Il y aura besoin d'équipes
pluridisciplinaires spécialisées pouvant aborder la
complexité de l'infection par le VIH et la diversité des
situations.
La poursuite de la recherche est essentielle, comme le démontre
l'enquête périnatale française, regroupant 90 services
de gynécologie obstétrique.
Enfin, on comprend mal l'évolution des pandémies, car elle
implique à la fois des facteurs liés à l'agent infectieux
et liés aux populations et aux changements sociaux. Pourquoi ce virus,
qui existait chez l'homme dès les années vingt, ne s'est-il
répandu que dans les années quatre-vingt - quatre-vingts dix
? Son pouvoir infectieux va-t-il diminuer dans les prochaines années,
ou au contraire augmenter en entraînant des contaminations par voie
orophyaryngée par exemple ? Quand de nouveaux rétrovirus humains
émergeront-ils ?
La version sur papier de
cet ouvrage a été réalisée par : Editorial Assistance - 18, rue Camille-Desmoulins - 92300 Levallois-Perret - Tél. : 01 41 34 02 60 © 2000, Jean Cohen, Patrick Madelenat, Rachel Levy-Toledano - ISBN 2-86911-958-5 Diffusion : Eska - 12, rue du 4-septembre - 75002 Paris - Tél. : 01 42 86 56 00 - Fax : 01 42 60 45 35 Diffusion sur l'internet : CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) (30 mai 2000) |