GYNÉCOLOGIE ET SANTÉ DES FEMMES
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INTRODUCTION |
Jean Cohen
Depuis qu'en 1663 Louis XIV a imposé un médecin, de plus un homme, Julien Clément, pour accoucher Madame de la Vallière, les rapports de la médecine avec les femmes n'ont cessé d'évoluer. La médecine de la femme limitée à l'accouchement a été pendant des décennies le fait des obstétriciens. Pendant longtemps, la césarienne, la grossesse extra-utérine, le fibrome et le cancer ont été réservés aux chirurgiens, tandis que l'aménorrhée ou les symptômes du climatère étaient orientés vers les médecins dits généralistes. L'infertilité n'intéressait personne. Il a fallu la clairvoyance et le courage d'hommes tels que René Musset, Albert Netter, Raoul Palmer ou Jacques Varangot pour progressivement regrouper vers le milieu du xxe siècle tous les spécialistes de la médecine de la femme... bien avant les révolutions contraceptive ou génétique.
Les événements se sont accélérés. La synthèse des hormones a permis aux femmes d'accéder d'abord à la contraception à la faveur des travaux de Pincus, puis au traitement substitutif de la ménopause. Les travaux pionniers de Robert Edwards, la fécondation in vitro et la stimulation de l'ovulation ont révolutionné le traitement de la stérilité. La génétique a ouvert la voie du diagnostic prénatal. Les progrès ont non seulement concerné la morbi-mortalité maternelle mais également la prise en charge des enfants à la naissance du fait d'une surveillance clinique plus rigoureuse assistée de la biologie et de l'échographie.
Parallèlement à l'élargissement de l'éventail thérapeutique, on a assisté la Sécurité Sociale aidant à une explosion de la demande de soins des femmes françaises. Pour y répondre, le corps médical a fourni par le biais de l'internat des spécialistes gynécologues dont le nombre s'est avéré très vite insuffisant. Il a été alors nécessaire, pour pallier cette pénurie, de former, de 1963 à 1984, des spécialistes en gynécologie médicale et en gynécologie obstétrique par la voie du CES, différente de celle de l'internat. Depuis 1984, à la suite de directives européennes, l'obtention du titre de spécialiste en gynécologie obstétrique passe nécessairement par l'internat et la formation à la gynécologie médicale a cessé. Parallèlement à sa féminisation, on assiste aujourd'hui à un vieillissement de la population des gynécologues dont l'effectif stagne du fait des cessations d'activité très partiellement compensées par les nouveaux venus à la spécialité.
C'est en 1999 que nous avons eu l'idée de cet ouvrage. Tout laissait penser que si aucune mesure n'était prise, de profonds changements surviendraient dans la qualité des soins offerts aux femmes et dans les modalités de la prise en charge des femmes très spécifique à la France. C'est pour mesurer ces changements et anticiper les situations que nous avons fait appel aux experts qui ont collaboré à ce livre. Le but était d'apporter un outil de mesure permettant l'appréciation et la réflexion. Depuis la mise en chantier de cet ouvrage, les pouvoirs publics ont mis en place au niveau des DES une filière spécifique à la gynécologie obstétrique dont on pourra lire les détails. Cette mesure, qui ne fait pas l'unanimité, devrait améliorer les perspectives d'offre de soins aux femmes mais ne résoudra pas totalement le problème d'insuffisance et créera peut être de nouvelles difficultés. Nous avons cherché dans cette réflexion à analyser et préciser les situations nouvelles d'ici à 2020.
Mais l'exercice n'est pas aisé. A supposer qu'aucune percée majeure ne survienne dans les thérapeutiques gynécologiques dans les prochaines décennies il apparaît que dans tous les cas de figure le nombre de spécialistes en gynécologie deviendra vite insuffisant. Cela conduirait inexorablement à une inadéquation entre "l'offre" et "la demande" qui se traduirait par un appauvrissement de la qualité des soins. Cette analyse prend en compte la pénurie programmée des gynécologues (les nouveaux venus à la spécialité ne seront pas assez nombreux pour combler les cessations d'activité), la poursuite de l'évolution déjà observée dans la prise en charge des femmes ces 20 dernières années et le gain d'espérance de vie des femmes françaises. Il y a en effet toutes raisons de penser que la contraception restera aussi nécessaire, que la fécondité des femmes variera peu dans les prochaines années, et que du fait du recul croissant de l'âge de la première grossesse, l'incidence des infertilités augmentera. Par ailleurs, le vieillissement de la population féminine avec son cortège de pathologies et l'extension de l'utilisation du THS conduira à une plus grande demande de soins de la femme ménopausée. Pour toutes ces raisons, le nombre de gynécologues sera insuffisant dans un futur proche pour offrir aux femmes la même qualité de soins qu'aujourd'hui.
Il est d'ailleurs aisément imaginable que de nouveaux traitements verront le jour dans les prochaines décennies. Si cet ouvrage avait été réalisé en 1980, aurions-nous prévu les récentes évolutions observées telles que la PMA, la cÏliochirurgie, les traitements hormonaux substitutifs ou l'apparition d'une maladie telle que le sida et la place prépondérante aujourd'hui de son dépistage ? Les infections génitales par exemple, nous l'avons constaté avec les chlamydioses, subissent des cycles qui rendent les prévisions incertaines. Les études en cours de développement laissent penser qu'on pourra disposer de méthodes contraceptives plus simples inhibant seulement la fécondation par exemple , ou que les traitements hormonaux de la ménopause seront remplacés par des drogues à effet spécifique. Les hypothèses sont nombreuses : les femmes pourraient être enceintes plus jeunes, la prévention dépisterait les cancers plus précocement, et les PMA simplifieraient les traitements de l'infertilité. Tout cela et bien d'autres innovations sont possibles, mais nous verrons chapître après chapître qu'aucune perspective nouvelle ne diminuera la demande de soins... encore augmentée par la couverture d'assurance généralisée à l'ensemble de la population. La féminisation du corps médical modifiera sans doute quelques comportements. Quelle que soit l'évolution des pathologies, la pénurie de spécialistes grèvera la qualité des soins dans les prochaines années.
Comment les structures de l'offre de soins en gynécologie obstétrique réagiront-elle à cette nouvelle situation ?
Pour ce qui est de l'obstétrique tout laisse à penser que le déficit en accoucheurs sera considérable. Il existe d'ores et déjà un manque de vocation chez nos jeunes collègues. On peut craindre par ailleurs que les nouvelles places offertes au DES de gynécologie obstétrique seraient choisies majoritairement par des gynécologues qui ne pratiqueront pas l'obstétrique toute leur vie. À l'heure de la réduction du temps de travail à 35 heures, nos pouvoirs publics devraient s'interroger sur les conditions d'exercice et le mode de vie des obstétriciens et sur les honoraires perçus par un accoucheur appelé à 3 heures du matin comparés à ceux d'un plombier ou d'un dépanneur de TV. Bien sûr la vocation de médecin n'est pas motivée par le seul niveau de rémunération... mais comment ne pas penser aux conditions de l'exercice professionnel quand on fait un choix de carrière ? ... sans compter qu'aujourd'hui chaque accoucheur est poursuivi devant les tribunaux en moyenne deux fois au cours de sa carrière, chiffre qui devrait augmenter si on prend l'exemple américain.
Il est donc urgent que les pouvoirs concernés cessent de considérer l'obstétrique comme de la sous médecine et qu'ils réévaluent les actes et les fonctions à leur juste prix. Ces mesures pourraient augmenter les vocations et améliorer l'exercice de l'obstétrique.
Il est toutefois probable que les sages femmes et les médecins généralistes se verront confier de plus en plus comme l'indique le Pr Levy la surveillance des grossesses normales. Mais cette mutation ne pourra aboutir sans un accompagnement financier, une formation, un travail en réseau, peut-être aidé par la télémédecine. On peut douter compte tenu de notre histoire qu'un tel système soit rapidement mis en place. Il devra s'accompagner d'une révolution du comportement des femmes enceintes... aussi brutale que lors du passage de l'accouchement à domicile à l'accouchement dans une structure hospitalière. Il faudrait en outre que cette mutation ne réduise pas les chances de la femme enceinte d'accéder au spécialiste à temps voulu.
Même en tenant compte des récentes décisions, l'effectif global des gynécologues restera insuffisant en 2020. Cette situation inquiète les femmes d'ores et déjà mobilisées par les campagnes médiatiques. Cette réduction des gynécologues pourrait conduire à des restrictions et à un bouleversement de la prise en charge des femmes. La limitation la plus souvent envisagée passe par le médecin référent qui décidera s'il consent ou non à demander l'avis du gynécologue. Cette décision serait grave car elle conduirait inexorablement à des listes d'attente, des inégalités dans les comportements, et une détérioration de la relation médecin-patiente. Une simple question permet de comprendre : aujourd'hui, combien de femmes ministres ou députées, combien de "chiennes de garde" qui consultent directement leur gynécologue accepteraient de s'adresser d'abord au référent ? ... Il faut impérativement conserver le libre accès au gynécologue et la qualité de soin primaire de cette spécialité. Pour cela, il faut aussi prévoir longtemps à l'avance les modes de financement et les évolutions.
Quelle place reste-t-il pour la gynécologie chirurgicale ? Qui la pratiquera et dans quelle(s) structure(s) ? L'hyper-spécialisation de certains gynécologues accoucheurs conduisant à la centralisation dans certains services spécialisés ne serait sûrement pas la solution la plus heureuse pour les femmes. En effet, la chirurgie en gynécologie ne concerne pas seulement le cancer mais aussi les lésions bénignes, le prolapsus ou la cÏlioscopie par exemple. Le problème de la chirurgie gynécologique ne peut être dissocié de celui de l'hospitalisation privée où elle s'exerce majoritairement. Et il est probable que la fermeture programmée des cliniques privées serait aussi en partie responsable de la fin de la chirurgie gynécologique. On se sera ainsi battu un demi-siècle en vue de faire opérer les femmes par des spécialistes de la femme pour se retrouver finalement à la situation existante avant-guerre.
On ne pourra échapper au développement de la PMA surtout si la diagnostic préimplantatoire remplace peu à peu le diagnostic postnatal. Ici aussi il faudrait conserver aux centres de PMA leur place intégrée à l'intérieur de la gynécologie obstétrique pour éviter de créer des super-spécialistes qui ne penseraient qu'à obtenir des grossesses débutantes et oublieraient le contexte médical du couple. Ce mauvais exemple existe déjà à l'étranger.
Avec l'augmentation de l'espérance de vie, la prévention des maladies cardio-vasculaires , du cancer ou de l'ostéoporose, pour ne citer que ces pathologies, sera de plus en plus nécessaire. Le (la) gynécologue est de ce point de vue le mieux placé car il faut intégrer le dépistage dans le suivi habituel de la patiente.
Quant aux femmes, elles sont à juste titre d'ores et déjà inquiètes de la situation actuelle et future. Nombreux sont les gynécologues, le plus souvent médicaux, qui, du fait de la demande sans cesse croissante, imposent aux patientes qu'ils suivent déjà des délais de rendez-vous importants. Ces femmes s'interrogent sur leur propre suivi mais surtout sur celui de leur fille. Qui prendra en charge leur contraception, leur grossesse ? Qui dépistera leur cancer ? Qui assurera leur suivi ? Ces femmes n'envisagent pas un suivi gynécologique autre que par le gynécologue, souvent le seul médecin consulté, et sont attachées au système actuel qui les satisfait.
Notre préoccupation a été l'intérêt mutuel des femmes et des médecins. Aujourd'hui nous exerçons la gynécologie obstétrique dans un système que certains jugent critiquable mais qui satisfait la majorité. Si nous examinons la situation à l'étranger : les femmes sont moins bien suivies, moins vite soignées et moins satisfaites du système de soins. En France, ni le chômage ni les conditions sociales n'empêchent de consulter un gynécologue. Il nous faut garder notre spécificité française et son avantage : l'exercice de la médecine de la femme au sens large par des gynécologues expérimentés. Il faut évaluer les difficultés futures et prévoir les remèdes tout en conservant la multi-disciplinarité de notre spécialité. En 2020, il sera trop tard... d'ici là, ce petit livre aura peut être ouvert des voies et suscité des vocations...
La version sur papier de
cet ouvrage a été réalisée par : Editorial Assistance - 18, rue Camille-Desmoulins - 92300 Levallois-Perret - Tél. : 01 41 34 02 60 © 2000, Jean Cohen, Patrick Madelenat, Rachel Levy-Toledano - ISBN 2-86911-958-5 Diffusion : Eska - 12, rue du 4-septembre - 75002 Paris - Tél. : 01 42 86 56 00 - Fax : 01 42 60 45 35 Diffusion sur l'internet : CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) (30 mai 2000) |