GYNÉCOLOGIE ET SANTÉ DES FEMMES
 
L'OFFRE DE SOINS

Réflexion

Gynécologie médicale et santé des femmes

Michèle Barzach

La révolution de la gynécologie médicale des trente dernières années a profondément transformé la vie et la santé des femmes. De la contraception à la procréation médicalement assistée, de la prise en charge des cancers féminins au traitement substitutif de la ménopause, cette spécialité s'adresse aujourd'hui à l'adolescente puis à la femme tout au long de sa vie.

Ces progrès médicaux ont sans doute été de ceux qui ont eu, dans les dernières décennies du siècle, l'impact social le plus considérable. En tout premier lieu, la contraception, en permettant aux femmes de choisir et de planifier leur maternité, leur a apporté une liberté décisive ; un acquis à partir duquel l'amélioration de leurs conditions de vie et de leur statut a été possible.

Les avancées de la gynécologie moderne ont placé la santé des femmes en général au c¦ur des préoccupations de la médecine moderne. À partir de la révolution des savoirs et des technologies médicales concernant la santé de la reproduction – et parce que cette "santé génésique" concerne avant tout les femmes – celles-ci ont été reconnues comme des patientes à part entière, pour lesquelles des investissements de recherche et de soins ont été réalisés, des ressources humaines et financières mobilisées, des professionnels de santé spécialisés formés, et des programmes de santé spécifiquement développés.

Dans l'organisation de l'offre de soins, une place particulière a ainsi été réservée aux gynécologues. À côté du médecin généraliste et du pédiatre de ville, le médecin gynécologue complète l'offre de soins de première intention. Il propose des soins qui ont la particularité d'être à la fois hautement spécialisés et de proximité pour les femmes. Mes expériences de femme, de gynécologue, d'élue chargée des affaires sociales, puis de Ministre, m'ont convaincue de la nécessité de préserver cette particularité de notre système de soins ; une particularité qui est plébiscitée par les premières concernées – les femmes – et au crédit duquel on peut sans doute porter les bonnes performances de notre pays, comparées à celles de nos voisins européens, en ce qui concerne l'accès à la contraception, le taux de recours à l'avortement, la mortalité par cancers gynécologiques.

Pour avoir exercé ce métier pendant quinze ans, pour avoir souvent constaté que les femmes que j'examinais, quel que soit leur milieu social, n'avaient souvent pas consulté depuis très longtemps d'autres médecins, pour les avoir vues finalement accéder aux soins médicaux au sens large à partir d'un besoin de santé initial spécifiquement gynécologique, je reste persuadée que les gynécologues de ville constituent un point d'accès au système de santé et aux soins en général irremplaçable pour les femmes. Pour cette raison aussi, le rôle et la place des gynécologues dans la médecine de ville méritent d'être préservés : la consultation gynécologique participe de la diversité des points d'accès à la prévention et aux soins de santé.

Les enjeux de la gynécologie médicale sont aujourd'hui plus cruciaux que jamais, qu'il s'agisse de ses enjeux sociaux ou technologiques, médicaux individuels, ou stratégiques en termes de santé publique.

L'état de santé des femmes, peut-être plus encore que celui des hommes, demeure socialement déterminé : déterminé par leur statut social, leurs capacités de choix et d'autonomie, leur âge et leur situation socio-économique. Dans notre pays, les inégalités sociales d'accès à la contraception, au dépistage des cancers féminins, à la prise en charge de la ménopause sont importantes bien qu'elles restent, en vérité, peu étudiées. Chez les très jeunes filles, la recrudescence des avortements révèle leur manque d'information et de recours aux moyens contraceptifs. Ces combats-là ne sont donc jamais gagnés et les médecins gynécologues – dans leurs cabinets ou leurs dispensaires – y ont un rôle à jouer qui est irremplaçable.

En vérité, la santé des femmes reste un champ médical encore largement méconnu et la gynécologie est une spécialité médicale qui n'intègre que depuis très peu de temps la dimension non strictement reproductive de leur santé. Il a fallu, par exemple, attendre les années 90 pour qu'on étudie – spécifiquement et à grande échelle – la prévention des maladies cardio-vasculaires, du cancer et de l'ostéoporose chez les femmes ménopausées quand les mêmes sujets sont étudiés dans de grandes cohortes strictement masculines depuis les années 50. Plus récemment encore ont été estimés les bénéfices – mais aussi les risques carcinologiques – associés aux traitements substitutifs de la ménopause. C'est dire si bien des questions se posent encore, dont certaines réponses passent par le suivi minutieux et l'observation régulière de femmes prises en charge par leur gynécologue.

Le suivi des femmes et les programmes de dépistage et de prévention des cancers gynécologiques constituent un enjeu majeur de santé publique. En théorie comme en pratique, ces programmes posent, eux aussi, de nombreuses questions : des incertitudes persistantes sur leurs coût-bénéfices collectifs, sur la marge séparant le bénéfice individuel du risque iatrogène, sur les déterminants (connaissances, attitudes, motivations) de la participation des femmes à ces programmes, etc. Il s'agit donc bien, là aussi, d'un champ de recherche et d'évaluation, de pratique et d'innovation pour lequel la gynécologie médicale représente une spécialité incontournable, un "terrain d'étude" au plus proche des femmes, une communauté de spécialistes – à la fois relais, observateurs, informateurs – qu'il s'agit de mobiliser.

Enfin, la pratique de cette spécialité est à l'aube de connaître, dans les décennies à venir, des bouleversements au moins aussi importants et significatifs que ceux observés depuis l'invention de la gynécologie moderne. Le développement de nouvelles technologies d'imagerie va permettre des diagnostics ambulatoires, non invasifs, de plus en plus précis (lésionnels mais aussi fonctionnels) et précoces. Le développement du diagnostic génétique et de la médecine prédictive conduiront, dans l'avenir, à une estimation de plus en plus précise des risques et des prédispositions morbides individuels et, donc, à la définition puis à la prescription de stratégies de dépistage et de prévention elles aussi individualisées. Maîtrisant ces nouveaux outils, s'appuyant sur ces nouvelles pratiques médicales, intégrés dans des filières de soins qui prendront en charge et guideront les femmes depuis le conseil génétique et la prévention jusqu'aux soins curatifs les plus spécialisés, les gynécologues disposeront alors de moyens diagnostiques, préventifs et thérapeutiques considérables.

Leur principale responsabilité sera bien de conjuguer ces nouveaux savoirs et ces nouveaux outils biotechnologiques à la singularité, l'humanisme et la proximité de leurs pratiques de soins.

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© 2000, Jean Cohen, Patrick Madelenat, Rachel Levy-Toledano - ISBN 2-86911-958-5
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Diffusion sur l'internet : CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) (30 mai 2000)