GYNÉCOLOGIE ET SANTÉ DES FEMMES
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LA DEMANDE DE SOINS
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Michel Tournaire, Jacques Lepercq
Dans la cour d'honneur de l'université de Chicago se trouvent des blasons commémorant des chercheurs célèbres. Un blason vide attend toujours, depuis les années trente, le nom de celui qui aura découvert la cause de la prééclampsie. Combien de temps nous faudra-t-il attendre encore ? Nul ne peut le dire à ce jour.
Cet exemple suggère qu'en matière de prédiction en médecine, mieux vaut compter sur les connaissances et les moyens déjà disponibles en les optimisant pour améliorer les résultats. C'est la démarche que nous adopterons en retenant trois secteurs prioritaires : la mortalité maternelle, la prématurité et l'hypotrophie.
Cent à cent vingt femmes meurent par an en France, dont 85 % d'une cause obstétricale directe [1]. Les principales causes sont l'hémorragie, l'hypertension artérielle, l'infection et l'embolie pulmonaire. Les deux tiers de ces décès pourraient être évités d'après l'examen anonyme fait par un groupe d'experts.
Parmi les facteurs en cause sont retrouvés souvent une sous-estimation de la gravité initiale et le retard au traitement ou au transfert. Le progrès passe par une meilleure organisation des réseaux périnatals avec orientation des grossesses lorsque le risque est prévisible mais aussi par la capacité de toute maternité à faire face aux urgences imprévisibles et ne permettant pas le transfert (par exemple hématome rétroplacentaire).
Première cause de mortalité périnatale, la prématurité a été l'objet d'une vaste mobilisation des professionnels en France depuis trente ans. Si les chiffres restent stables 5,6 % en 1981 et 5,9 % en 1995, la fraction des naissances prématurées par décision médicalea augmenté.
Sur le plan diagnostique, la fibronectine fÏtale et l'échographie du col apportent un progrès dans l'identification des patientes à risque d'accoucher prématurément aussi bien en population générale que dans une population suspecte de menace d'accouchement prématuré. Cependant, la prise en charge qui suit cette identification est peu efficace en population générale, ce qui limite les recommandations pour une utilisation systématique. Ces deux paramètres ont surtout un intérêt en "deuxième ligne" lorsque le diagnostic est douteux avec les marqueurs classiques (contractions utérines, toucher vaginal) permettraient d'éviter des hospitalisations et des traitements inutiles grâce à une bonne valeur prédictive négative, et inversement d'appliquer une prise en charge adaptée (tocolyse, corticothérapie, transfert in utero) pour certaines patientes mal étiquetées.
L'étiologie de la menace d'accouchement prématuré est multifactorielle, et il n'existe pas de marqueurs étiologiques fiables.
Les études futures devront avoir pour objectif, aussi bien pour les marqueurs symptomatiques que pour les marqueurs étiologiques, l'évaluation des avantages et des inconvénients en pratique courante de ces tests. En effet, l'objectif n'est pas de prédire l'accouchement prématuré, mais bien de l'éviter ou de prévenir ses conséquences.
Les nouveaux traitements de la menace d'accouchement prématuré (MAP) semblent diminuer la morbidité respiratoire néonatale (inhibiteurs calciques) ou limiter les effets indésirables maternels (antagonistes de l'ocytocine) mais ne permettent pas de réduire le nombre d'accouchements prématurés.
Le bénéfice de la corticothérapie prénatale a été démontré. Elle est encore insuffisamment prescrite, mais l'apport supplémentaire des cures répétées n'est pas clairement démontré, et un risque ultérieur d'hypertension artérielle chez l'enfant est évoqué sur des travaux expérimentaux. Enfin, la bétaméthasone doit être préférée à la dexaméthasone qui est associée à un risque accru de leucomalacie périventriculaire chez le grand prématuré [2].
Les progrès de la néonatologie ont permis une prise en charge de plus en plus précoce des prématurissimes, mais le pronostic des survivants nés à 24-25 semaines d'aménorrhée, voire moins, amène à se poser de nouveau la question de la limite inférieure de la prématurité induite et de la date de la prise en charge néonatale.
On peut enfin attendre une amélioration des résultats grâce à une poursuite de l'organisation en réseau [3].
Un taux de 57,5 % des décès néonatals survient chez des nouveau-nés de moins de 2 kg représentant 5,6 % des nouveau-nés vivants, qu'ils soient prématurés ou hypotrophes. L'échographie du 3e trimestre permet de repérer près de 9 fois sur 10 les retards de croissance intra-utérine (RCIU) infra-cliniques, à condition qu'elle ne soit pas faite trop tôt, mais à 32-34 semaines. Dans plus d'un tiers des cas, la cause du RCIU reste inconnue. Le doppler des artères utérines associé aux marqueurs sériques permettra-t-il de repérer le risque de RCIU
et de prééclampsie dans la population générale ? Surtout, quelle intervention thérapeutique permettra de prévenir sa survenue en l'absence de connaissance de sa véritable cause ? L'absence de traitement curatif conduit à l'extraction en cas d'anomalies de la vitalité fÏtale. Les résultats du traitement préventif par aspirine à faibles doses sont contradictoires, mais la méthodologie des essais, notamment les critères et les dates d'inclusion, ainsi que les posologies sont trop différentes pour conclure à une absence d'efficacité.
Les conséquences à long terme de l'hypotrophie fÏtale observées initialement par Barker et attribuées à des anomalies de l'environnement intra-utérin pourraient également avoir une origine génétique.
Ces trois exemples démontrent qu'un progrès est à notre portée grâce à un meilleur emploi des moyens existant qui ont fait la preuve de leur efficacité : adaptation du lieu de naissance à la pathologie, corticothérapie pour la réduction des conséquences de la prématurité. On peut ajouter le traitement par acide folique à début préconceptionnel, insuffisamment utilisé en France, pour la prévention des défauts de fermeture du tube neural.
Bien sûr, il faut espérer que la recherche permettra d'infléchir ces tendances de progrès devenus lents actuellement : il est vrai qu'on ne peut plus espérer une réduction de moitié de la mortalité périnatale comme dans les années soixante-dix. Il faudra beaucoup d'efforts et de découvertes pour gagner un point à partir des chiffres actuels.
[1] Bouvier-Colle MH, Varnoux N, Breart G. Facteurs évitables de la mortalité maternelle. Résultats de l'enquête INSERM. In : Mises à jour en gynécologie-obstétrique. Collège national des gynécologues obstétriciens français. Paris : Vigot, 1993:329-49.
[2] Baud O, Foix-L'Helias L, Kaminski M, Audibert F, Jarreau PH, Papiernik F, Huon C, Lepercq J, Dehan M, Lacaze-Masmonteil T. Antanatal glucocorticoid treatment and cystic periventricular leukomalacia in very premature infants. N Engl J Med 1999;341:1190-6.
[3] Grandjean H et coll. Conférence de consensus du CNGOF. Prise en charge de la femme enceinte de l'accouchement et du nouveau-né selon leur niveau de risque. J Gyn Obstet Biol Reprod 1998;27(suppl 2.21-36):267-71.
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