GYNÉCOLOGIE ET SANTÉ DES FEMMES
 
LA DEMANDE DE SOINS

Réflexion

Diagnostic anténatal

Brigitte Simon-Bouy, Jean-Pierre Bernard, Michèle Plachot

C'est au début des années soixante-dix qu'est apparue ce que l'on appelle maintenant la médecine foetale ou la médecine prénatale. Le foetus n'est plus un inconnu au fond de l'utérus maternel dont on découvre tout à la naissance, mais il est devenu un patient à part entière auquel l'échographie et la biologie sont capables de proposer des explorations de plus en plus complexes et approfondies pour poser un diagnostic d'anomalie, de maladie, de malformation.

Le diagnostic chromosomique (établissement du caryotype foetal) après amniocentèse a été l'une des premières méthodes biologiques utilisées. Elle reste et restera sans doute dans les années à venir la technique d'exploration biologique du foetus la plus utilisée ; les anomalies chromosomiques sont en effet très fréquentes (1 sur 175 naissances).
Le caryotype foetal est indiqué lorsqu'il y a une pathologie familiale connue (translocation, maladie génétique liée au sexeÉ) ou bien dans le cadre du dépistage systématique des anomalies chromosomiques (en particulier de la trisomie 21). Les indications dans ce dernier contexte ont évolué progressivement au cours des années : âge maternel, signes d'appel échographiques puis signes d'appel biologiques (marqueurs sériques).
Parallèlement, différentes techniques spécifiques se sont développées pour diagnostiquer des affections familiales connues (maladies du métabolisme, maladies de l'hémoglobineÉ), en même temps que les méthodes de prélèvement foetal se sont diversifiées. La ponction de sang foetal permet d'étudier directement les caractéristiques sanguines du foetus.
La biopsie de villosités choriales qui peut se réaliser dès deux mois de grossesse permet un diagnostic très précoce de maladies génétiques (par méthodes biochimiques ou par analyse de l'ADN).

La décennie des années quatre-vingt a vu l'essor important des techniques de biologie moléculaire et le clonage de nombreux gènes responsables de maladies génétiques relativement fréquentes (myopathie de Duchenne, mucoviscidoseÉ), ce qui a considérablement amélioré la fiabilité et la précocité du diagnostic prénatal et a permis d'identifier les porteurs sains (hétérozygotes) dans les familles. La méthode d'amplification de l'ADN par PCR (Polymerase Chain Reaction) a augmenté la puissance des tests génétiques ce qui a permis d'obtenir les résultats plus rapidement et de travailler sur une quantité d'ADN, donc de prélèvement foetal, moindre. Ces progrès sont importants car ils permettent aux couples appartenant à des familles douloureusement éprouvées par une maladie génétique de savoir s'ils ont un risque de mettre au monde un enfant atteint et le cas échéant de disposer d'un diagnostic génétique prénatal fiable et précoce leur permettant d'interrompre la grossesse dans de bonnes conditions si le foetus est atteint.
La méthode PCR a également facilité le dépistage des agents infectieux (cytomégalovirus, toxoplasmeÉ) dans le liquide amniotique.

À l'aube de l'an 2000, les méthodes qui ont fait leurs preuves vont continuer à rendre de précieux services aux familles ayant un risque connu de maladie génétique. Le dépistage de la trisomie 21 va s'améliorer grâce à une meilleure analyse des signes échographiques observés tôt, au cours de la grossesse. Mais aussi de nouvelles technologies vont probablement bouleverser les méthodes de diagnostic sur le foetus. Les puces à ADN (ou DNA chips) sont un procédé industriel capable en une seule réaction de tester l'ADN d'un individu (adulte, enfant ou foetus) avec un nombre extraordinairement grand de mutations différentes. L'étude de l'ADN foetal dans le sang maternel, dont on voit les prémices avec la détermination du rhésus foetal à partir d'une prise de sang faite à la mère, pourrait révolutionner le dépistage de la trisomie 21 en permettant à toutes les femmes enceintes, par une simple prise de sang, de savoir si elles attendent un enfant trisomique, mais la mise au point n'est pas encore terminée.

Les vingt dernières années ont été marquées par une amélioration considérable des techniques échographiques. Les publications des années quatre-vingt se sont axées sur la description sémiologique des principales anomalies morphologiques. La généralisation des études morphologiques du 2e trimestre a permis d'établir les syndromes échographiques des principales aneuploïdies, l'indication signe d'appel échographique est alors apparue.
Si l'efficacité de la pratique d'un caryotype sur signe échographique est évidente lorsqu'il est indiqué dans le bilan d'un foetus porteur d'une ou de plusieurs malformations sévères, l'efficacité des "petits signes", c'est-à-dire des variantes anatomiques de foetus sans véritable malformation, n'a jamais été prouvée de façon scientifique. Les années quatre-vingt dix ont été marquées par la révolution de l'échographie du 1er trimestre et de la mesure de la clarté nucale réalisée en routine, qui s'avère être une alternative sérieuse et sûrement avantageuse aux marqueurs sériques du 2e trimestre, d'autant qu'elle permet de filtrer également des anomalies morphologiques en particulier cardiaques et des syndromes génétiques.

D'autre part, des équipes spécialisées multidisciplinaires permettent la réalisation de diagnostic de maladies rares grâce à un va-et-vient entre l'échographie et la génétique, la biologie moléculaire venant déjà de plus en plus souvent dans certains cas apporter une certitude diagnostique atteinte exceptionnellement par l'échographie dans des malformations caricaturales. Les prochaines années verront certainement l'avènement d'un test de dépistage de routine et de proximité réalisé précocement au 1er trimestre et basé sur l'association de l'échographie et des marqueurs sériques combinés à l'âge maternel.
Par ailleurs, les centres multidisciplinaires permettront sur des populations ciblées par leurs antécédents, ou par les tests des dépistages du 1er et du 2e trimestre, la réalisation d'un nombre croissant de syndromes génétiques. Ces centres permettront également au mieux d'approcher au plus près le pronostic des malformations dépistées.
En tout état de cause, c'est la précision du pronostic qui doit être la clef de voûte du conseil des parents.

Le diagnostic génétique préimplantatoire (DPI) représente incontestablement l'innovation majeure du diagnostic anténatal de ces dix dernières années. Initiée au début des années quatre-vingt-dix en Angleterre, cette technique s'est développée rapidement puisque aujourd'hui une centaine de laboratoires dans le monde proposent le DPI, bien que seuls une vingtaine d'entre eux en fasse régulièrement.

En France, les autorisations à réaliser un DPI ont été données récemment et seuls quelques centres commencent à pratiquer cette technique. Aujourd'hui, près d'un millier d'enfants sont nés après un DPI, le plus souvent après screening des aneuploïdies chez des femmes de plus de 35 ans ayant une fécondation in vitro (FIV) pour stérilité. Il est intéressant de noter que le DPI a été bien accepté par les couples devant subir une FIV pour un problème d'infertilité alors que les cas de DPI chez les couples fertiles restent limités. Il est clair que la complexité des protocoles de FIV associée au taux de succès modéré (20 % de grossesses évolutives) font que seuls les couples ayant une histoire dramatique de décès d'enfants atteints d'une maladie génétique ou d'interruptions médicales de grossesses (IMG) à répétition, ou ceux ayant des réserves d'ordre éthique ou religieux vis à vis de l'IMG demandent un DPI. À l'inverse, la sélection des embryons dépourvus d'aneuploïdie chez les patients stériles ayant une FIV et ayant soit un âge maternel élevé, soit une anomalie du caryotype, soit des échecs répétés de FIV est bien accepté. En France, la loi interdit le DPI pour âge maternel élevé. On peut s'étonner que les couples stériles ayant une FIV et chez lesquels la conjointe a plus de 38 ans (20 % des patientes) aient la possibilité de faire un diagnostic prénatal (DPN) et non un DPI ! Il faut dire que le DPI s'adresse à des femmes qui répondent bien à la stimulation ovarienne. En effet, compte tenu du taux de fécondation (environ 50 %) et du taux d'embryons normaux après DPI (qui dépend de l'indication), on considère qu'il faut au minimum 9 ovocytes pour espérer un transfert de 2 ou 3 embryons et ainsi optimiser le taux de grossesses. Ce sont justement les femmes âgées (qui pourraient bénéficier d'un DPI) qui répondent généralement peu à la stimulation ovarienne et qui sont donc au départ, et pour la majorité d'entre elles de mauvaises candidates au DPI. Il convient cependant de signaler qu'à ce jour aucune étude ne démontre une augmentation du taux de grossesses chez les patientes ayant un DPI pour âge maternel élevé ; une diminution du taux de fausses couches spontanées a toutefois été rapportée.

Alors que cette technique commence tout juste à être proposée dans notre pays, de nombreuses questions restent posées et tout d'abord quelles sont les bonnes indication du DPI ? Si les techniques permettent d'identifier une mutation donnée sur une ou deux cellules, on peut répondre que toutes les indications du DPN sont des indications de DPI, dès lors que les patients ont été dûment informés des contraintes, des risques et du taux de succès de la FIV ainsi que des risques d'erreur du DPI. On considère en effet que pour environ 5 % des embryons le diagnostic est erroné. Cependant, la simplicité du geste qui consiste à éliminer purement et simplement un embryon préimplantatoire considéré comme anormal fait que d'autres demandes de DPI beaucoup plus discutables sont exprimées par les couples : diagnostic de maladies génétiques d'apparition tardive telle la maladie de Huntington, recherche de gènes de susceptibilité à certains cancers familiaux (BRCA1), détermination du sexe pour raison de convenance ou encore sélection d'un embryon pouvant conduire à un enfant ayant un génotype tel qu'il puisse être donneur de moelle pour un enfant existant, la liste est longue des dérives auxquelles cette technique pourrait conduire. La loi de bioéthique de juillet 1994 et le décret afférent encadrent suffisamment bien cette pratique pour éviter de telles dérives dans notre pays.
Une évaluation régulière des indications et des résultats, aussi bien en termes de fiabilitédu diagnostic génétique que pour ce qui concerne la santé des enfants, est indispensable pour que le DPI reste ce qu'il doit être : une extraordinaire avancée technologique qui permet aux couples ayant la malchance de transmettre une maladie génétique de choisir le moment qui leur semble le plus acceptable pour arrêter le développement d'un embryon ou d'un foetus atteint.


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© 2000, Jean Cohen, Patrick Madelenat, Rachel Levy-Toledano - ISBN 2-86911-958-5
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Diffusion sur l'internet : CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) (30 mai 2000)