GYNÉCOLOGIE ET SANTÉ DES FEMMES
 
LA DEMANDE DE SOINS

Réflexion

L'avenir de la prise en charge de la ménopause et de ses conséquences

Henri Rozenbaum

La ménopause est un phénomène naturel survenant inéluctablement aux alentours de la cinquantaine. Aucune intervention médicale ou d'ordre hygiéno-diététique ne semble susceptible de modifier, en tout cas dans un avenir proche, l'âge de sa survenue.
Deux réserves cependant à ce propos : nous savons que le tabagisme peut accélérer de 18 à 24 mois l'âge de survenue de la ménopause ; nous ne savons pas encore si une thérapeutique génétique pourra dans l'avenir le faire au contraire reculer.

En revanche, dans les dix prochaines années deux phénomènes indépendants et synergiques vont contribuer à modifier certaines des conséquences de la ménopause et rendent plus aiguës et plus urgentes les réponses à un certain nombre de problèmes posés par les effets de la carence Ïstrogénique de la ménopause.

Le premier phénomène est purement démographique. L'accroissement de la natalité entre 1945 et 1960 conduira à l'augmentation du contingent des femmes ménopausées. Parallèlement, de profondes modifications sont survenues dans la vie des femmes : libéralisation des mÏurs en 1968, introduction de la contraception orale en 1969, suivie de l'autorisation de l'avortement. Du fait du nombre de femmes concernées et de la pression socioculturelle qu'elles subissent, ces femmes du "baby-boom" imposeront des modifications profondes de l'image ("jeunes" et souvent actives) et de la prise en charge des femmes âgées de plus de 50 ans.

Le second phénomène est lié à l'augmentation de l'espérance de vie qui pèsera non seulement sur le nombre de personnes concernées, mais également sur l'état de santé et la morbidité de ces femmes qui du fait de leur âge plus avancé sont plus souvent atteintes de pathologies invalidantes.

Malgré de très nombreux travaux cliniques biologiques et épidémiologiques consacrés à la ménopause depuis un bon demi-siècle plusieurs incertitudes demeurent.
Quelles sont les conséquences propres de la carence estrogénique, c'est-à-dire indépendantes de l'âge ?
Quels sont les effets de la compensation hormonale sur les conséquences de la carence hormonale mais aussi du vieillissement ?
Quel est le traitement le plus adapté à une prévention sans risque ?
Quels sont les effets secondaires de cette substitution hormonale ?
Quelle est la durée minimum indispensable à l'obtention d'un effort préventif sur tel ou tel organe ?

Le premier champ d'investigation concerne les relations ménopause, traitement hormonal substitutif (THS) et risque vasculaire. Si le rôle de la carence Ïstrogénique dans la genèse de l'athérome semble désormais reconnu, celui joué par la ménopause elle-même en tant que facteur de risque vasculaire reste toujours diversement apprécié sinon contesté.

Il en est de même des effets du THS : s'il modifie favorablement un certain nombre de marqueurs du risque cardio-vasculaire, les études épidémiologiques montrant une certaine diminution de ce risque sous THS restent contestées car éventuellement entachées de biais d'inclusion ou de comportement [5]. L'avenir dans ce domaine appartient incontestablement aux études d'intervention en double-insu. Certaines nous ayant déjà réservé à la fois des bonnes (étude PEPI) [4] et des moins bonnes surprises (étude HERS) [2], le corps médical attend désormais avec impatience les résultats des études d'intervention en double insu à grande échelle actuellement en cours, telle la Women Health Initiative Study. Premiers résultats attendus à partir de 2005, mais uniquement sur les produits et schémas de traitement utilisés aux USA !

Une autre incertitude de taille persiste : un THS, particulièrement s'il est prolongé au-delà de 10 ans, implique-t-il une augmentation du risque de cancer du sein ?

À la lumière de certaines études épidémiologiques récentes et d'une importante méta-analyse [1], il existerait une discrète augmentation du risque de cancer du sein. Mais, ici encore, des biais épidémiologiques restent possibles, les populations comparées n'étant pas strictement identiques.

Une autre inconnue importante persiste à ce propos : si augmentation de risque de cancer du sein il y a, existe-il des différences en fonction des molécules et des schémas de traitements utilisés ? Certaines publications récentes laissent en effet entrevoir des variations notables : les dérivés de la progestérone seraient moins nocifs que ceux de la nortestostérone, et les schémas continus impliqueraient un risque peut être plus élevé que les séquentiels [3].

Enfin, les relations THS – maladie d'Alzheimer constituent peut-être un des enjeux thérapeutiques majeurs des années à venir : la prolongation de l'espérance de vie laisse malheureusement prévoir un accroissement de fréquence exponentiel de cette redoutable maladie. Un certain nombre d'études épidémiologiques et de travaux [6] de laboratoire font espérer un effet protecteur ou, à tout le moins, retardateur des Ïstrogènes. Mais ici encore nous attendons une confirmation par des études épidémiologiques d'intervention, et des incertitudes persistent sur les effets respectifs des différentes molécules Ïstrogéniques et progestatives utilisées en THS.

L'avenir du THS

L'avenir du THS sera en grande partie conditionné par les réponses apportées aux questions précédentes. Il est évident que si une molécule s'avérait plus avantageuse pour le sein que d'autres, ou si un stéroïde se révélait plus efficace dans la prévention cardio-vasculaire ou de la maladie d'Alzheimer, nos habitudes thérapeutiques s'en trouveraient considérablement modifiées.

Un bémol cependant, et de taille : nous avons vu que les grandes études épidémiologiques d'intervention actuellement en cours se déroulent aux USA, avec des produits souvent différents de ceux utilisés en Europe. Les autorités sanitaires et les firmes pharmaceutiques européennes risquent de regretter amèrement, dans un proche avenir, de n'avoir rien entrepris avec les produits et les schémas européens.

D'autres perspectives se dessinent cependant : les SERM nous ont démontré la possibilité de dissocier les effets de certaines molécules sur les organes cibles. Pour l'instant, cette dissociation a donné des résultats prometteurs en ce qui concerne la prévention de la perte osseuse et la diminution du risque de cancer du sein. Malheureusement ces produits ne corrigent pas les symptômes climatériques ni la sécheresse vaginale et nous ignorons leurs impacts cardio-vasculaires et sur le système nerveux central.

Les stéroïdes à spécificité tissulaire d'action corrigent eux les symptômes climatériques, améliorent la libido et préviennent la perte osseuse postménopausique mais des incertitudes persistent sur les effets cardio-vasculaires et la prévention des démences.

Les androgènes, et plus particulièrement le sulfate de DHEA sont à l'étude. Ils pourraient éventuellement constituer un complément au THS classique chez les femmes ayant des problèmes de libido ou une perte osseuse prononcée. Les premiers résultats des études, actuellement en cours, sont attendus incessamment.

On parle déjà beaucoup des phyto-Ïstrogènes, un peu trop peut-être. Certains ont manifestement placé la charrue avant les bÏufs à leur propos. Il importe, en effet, de ne pas confondre les effets éventuels d'une prise régulière pendant plusieurs décennies, ce qui est le cas des femmes en Asie du Sud-Est, et la prise pendant quelques mois d'une préparation dont le contenu en Ïstrogènes correspond au 1/100e environ de la dose d'Ïstrogènes utile pour traiter la carence Ïstrogénique de la ménopause. Il n'est pas exclu, toutefois, que certains phyto-Ïstrogènes puissent se comporter comme des SERM, mais de longues années d'études seront nécessaires pour aboutir à des certitudes.

Enfin, des efforts restent à faire à l'avenir pour améliorer l'observance du THS. Ceci implique une meilleure information des patientes et la mise à leur disposition de molécules et de formes galéniques plus adaptées à des traitements de longue durée, tout en conservant un éventail suffisamment large d'efforts pour adapter le traitement à chaque consultante.

Bibliographie

[1] Collaborative group on hormonal factors in breast cancer. Breast cancer and hormone replacement therapy: collaborative reanalysis of data from 51 epidemiological studies of 52 705 women with breast cancer and 108 411 women without breast cancer. Lancet 1997; 350:1047-59.

[2] Hulley S, Grady D, Bush T et al. for the heart and estrogen/progestin replacement study (HERS) research Group. Randomized trial of Ïstrogen plus progestin for secondary prevention of coronary heart diseases in post-menopausal women. JAMA 1998 ; 280:605-13.

[3] Magnusson C, Baron JA, Correia N, Bergstrom R, Adams MO. Breast cancer risk following long term Ïstrogen and Ïstrogen-progestin replacement therapy. Int J Cancer 1999 ; 81:339-44.

[4] Pepitrial writing group. Effects of Ïstrogen or Ïstrogen-progestin regimens on heart disease risk factors in postmenopausal women. The postmenopausal Ïstrogen/progestin interventions (PEPI) trial. JAMA 1995;3:199-208.

[5] Rozenbaum H. Pourquoi la ménopause est-elle devenue un problème de santé publique ? Reprod Hum Horm 1998; 11:213-25.

[6] Waring SC, Rocca WA, Petersen RC, O'Brien PC, Tangalos EG, Kokmen E. Postmenopausal Ïstrogen replacement therapy and risk of AD : a population-based study. Neurology, 1999; 52:965-70.

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© 2000, Jean Cohen, Patrick Madelenat, Rachel Levy-Toledano - ISBN 2-86911-958-5
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Diffusion sur l'internet : CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) (30 mai 2000)