GYNÉCOLOGIE ET SANTÉ DES FEMMES
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LA DEMANDE DE SOINS
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François Piette
L'espérance moyenne de vie à la naissance est le meilleur indice de longévité d'une population. Actuellement située à 82 ans chez la femme et 75 ans chez l'homme en France, elle a au cours du xxe siècle augmenté d'environ vingt-cinq ans, soit trois mois par an, ce qui est considérable. Cette évolution va-t-elle se poursuivre au cours du xxie siècle ? Nul n'en sait rien. Une meilleure connaissance des maladies qui obèrent l'espérance de vie (cancers et maladies cardio-vasculaires notamment) pourrait amener à une réponse positive mais d'autres éléments (crise économique et développement de la précarité entre 1980 et 2000, développement du tabagisme féminin, etc.) amènent nécessairement à une certaine prudence.
Si l'on joue à pile ou face deux fois de suite, on a 25% de chance
d'avoir deux fois pile, mais si on a tiré pile la première
fois, la probabilité d'avoir pile la deuxième fois est de 50%.
De la même façon, si on atteint un âge donné, par
exemple 60 ans, la somme de cet âge et de l'espérance moyenne
restant à vivre est supérieure à l'espérance
moyenne de vie à la naissance... Ceci peut aboutir à définir
un âge pour lequel on a encore une espérance moyenne de vie
de dix ans (76 ans chez l'homme ou 80 ans chez la femme). Cet âge,
qui augmente assez lentement, actuellement de l'ordre d'un an par décennie,
peut servir par exemple à planifier les besoins à partir de
quel âge on relève de la gériatrie dansle système
de soins... Encore que rien n'empêche d'envisager que des gériatres
fassent de la prévention !
Les dix dernières années d'espérance de vie à la naissance peuvent se passer en parfaite santé et se terminer par une mort subite mais en moyenne elles se décomposent en huit ans d'espérance de vie avec une incapacité légère à modérée (qui débute quand on ne peut plus se couper les ongles des pieds tout seul...) et deux ans d'incapacité sévère qui vont nécessiter des aides dans la vie quotidienne.
Ces chiffres inquiétants doivent être pondérés : le temps passé en incapacité est beaucoup plus court si on considère l'espérance de vie à un âge donné, par exemple 70 ans, et non l'espérance de vie à la naissance. D'autre part, d'un point de vue évolutif, l'augmentation d'espérance de vie à la naissance ne s'est pas accompagnée d'un accroissement du nombre d'années en incapacité mais d'une stabilité, voire d'une légère régression.
Si l'espérance de vie sans incapacité augmente régulièrement, l'espérance de vie sans maladie est stable et se situe vers l'âge de 40 ans. Comme d'autre part, quand on est malade en France on se soigne, cela revient à dire que depuis un siècle, on se soigne pendant vingt-cinq ans de plus. Comme par ailleurs la consommation médicale s'est considérablement accrue dans toutes les tranches d'âge et notamment les plus élevées, on comprend assez bien que ceci contribue à l'augmentation du budget de l'assurance maladie. Si la prévention primaire des maladies a peut-être marqué des points, ce progrès est compensé par un meilleur dépistage, une meilleure dénomination, une meilleure information sur les maladies. Qui n'a ni reflux gastro-Ïsophagien, ni syndrome du côlon irritable, ni rhinite spasmodique, ni arthrose, ni phases dépressives ?
Les facteurs de risque de réduction d'espérance de vie sont
connus. La causalité n'est pas démontrée pour chacun
et, dans certains cas, elle n'est même pas démontrable. Quand
elle est plausible, elle est très souvent multifactorielle. Le sexe
masculin, le bas niveau de scolarité, le tabagisme, la
sédentarité sans exercice physique, le lieu septentrional de
résidence en France, le fait de vivre seul (veuvage, célibat,
etc.) sont chacun associés à une nette réduction de
l'espérance de vie. Ceci passe en général par un
accroissement de la mortalité par maladie cardio-vasculaire ou cancer,
ce qui au passage montre bien l'intrication des facteurs sociaux et
psychologiques avec l'état de santé. Il existe aussi,
sûrement, des déterminants génétiques de la
longévité mais ceux-ci restent encore mal identifiés.
Il faut prendre conscience du caractère transitoire de certains facteurs
de risque vasculaire à l'âge adulte qui s'atténuent vers
60-70 ans, voire s'inversent comme la surcharge pondérale ou
l'hypercholestérolémie.
L'avenir du xxie siècle laisse encore beaucoup de champ pour les améliorations dans le domaine des médicaments classiques ou de l'hygiène de vie.
La réduction du tabagisme grâce notamment à une banalisation
des moyens de sevrage, le dépistage plus précoce des cancers
(seins, côlon...), l'amélioration des procédures
thérapeutiques (cancer de la prostate notamment) devraient réduire
encore la mortalité actuelle par cancer.
La meilleure connaissance des facteurs de risque vasculaire récemment
identifiés (comme la faible variabilité du rythme cardiaque,
l'existence d'une fréquence cardiaque de repos élevée,
l'hyperhomocystéinémie, l'existence de facteurs thrombogènes,
le dysfonctionnement endothélial, etc.), une meilleure connaissance
des indications thérapeutiques de molécules comme les statines,
qui ont sûrement beaucoup d'action vasculaire ne passant pas par l'effet
hypocholestérolémiant, l'emploi judicieux des nutriments par
exemple à propriété antioxydante comme dans l'alimentation
méditerranéenne, devraient permettre de réduire encore
la morbi-mortalité cardio-vasculaire.
Plus importante encore est l'accumulation des connaissances des procédures thérapeutiques susceptibles d'améliorer tout à la fois l'espérance de vie et la qualité de vie. Le traitement hormonal substitutif de la post ménopause, qu'il ne paraît jamais trop tard pour entreprendre tant qu'on a encore par exemple cinq à dix ans à vivre, et la pratique d'une activité physique régulière et surveillée rentrent dans cette catégorie, tandis que les médicaments antidépresseurs (en excluant les imipraminiques pour des raisons de tolérance), le sildenafil (ou Viagra®) et les molécules qui vont suivre dans la même indication paraissent des éléments fondamentaux de la qualité de vie sans action démontrée actuellement sur la qualité de vie. Peut-être dans les années à venir, des molécules comme la mélatonine, la DHEA, l'hormone de croissance ou son effecteur l'IGF1, et d'autres (ira-t-on jusqu'aux thérapies géniques ?) trouveront-elles leur place parmi les produits améliorant l'espérance de vie et/ou l'espérance tout court, mais pour le moment force est de constater que les preuves sont totalement absentes.
Mais la gériatrie n'est pas que la prévention dérivée
de connaissances biologiques dans le domaine cardio-vasculaire ou
métabolique, ou dérivée de la biologie du vieillissement.
Elle est aussi et avant tout une gestion médico-socio-psychologique
des dernières années de la vie et une gestion compassionnelle
des derniers mois. Dans les deux cas, elle se situe dans une problématique
d'accompagnement jusqu'au bout (dix ans, c'est bien court) et ce qui
caractérise le gériatre, c'est qu'il ne passe jamais
définitivement la main. Il peut la passer temporairement pour faire
assurer par d'autres, chirurgien ou réanimateur, des soins techniques
qu'il ne sait pas pratiquer ou la passer durablement pour faire assurer par
le système de soins libéral un plan thérapeutique qu'il
a organisé, mais le gériatre n'abandonne jamais un malade.
Aucun malade âgé ne peut dire qu'un gériatre a
considéré que son cas ne relevait plus de sa compétence.
Des exceptions sont peut-être possibles depuis peu dans les domaines
de la géronto-psychiatrie et des soins palliatifs mais c'est l'orgueil
de la gériatrie de considérer que ces cas doivent rester des
exceptions individuelles, objet d'une réflexion approfondie et d'une
discussion parfois passionnée entre équipes motivées.
Cette gériatrie qui se veut dépositaire d'une mission humaine
a besoin de moyens.
Elle a besoin de moyens en termes de connaissance. Actuellement les plus
de 70 ans représentent 30% des consommateurs de médicaments
et moins de 5% des patients dans les essais thérapeutiques conduisant
à l'autorisation de mise sur le marché. Celle-ci s'effectue,
sauf exception, sans la moindre idée des effets des médicaments
lorsqu'ils seront prescrits chez des octogénaires polypathologiques
et polymédicamentés et ce dans l'indifférence des
industriels, des autorités de santé et des prescripteurs non
informés. La gériatrie a besoin d'évaluer ses pratiques
grâce à une recherche clinique digne de ce nom, une recherche
qu'elle peine à effectuer quand on sait que 4% des médecins
hospitaliers (les gériatres) s'occupent de 40% des lits de l'hôpital
(les lits de gériatrie). La gériatrie a besoin de budget dans
son fonctionnement qui lui permette de donner aux malades :
les médicaments dont ils relèvent au terme des AMM :
par exemple les médicaments cholinomimétiques anti-Alzheimer
ou les suppléments vitamino-calciques anti fracturaires qui ne sont
pas donnés dans les hôpitaux car les "budgets médicaments"
sont toujours dépassés ;
les soins de nursing dont ils relèvent : de nombreux hôpitaux
gériatriques ne disposent plus de sonnette d'appel puisque de toute
façon il n'y a personne pour répondre ; il est tellement plus
simple de mettre des couches et de rendre ainsi incontinents des malades
qui ne l'étaient pas ;
les structures dont ils relèvent : tous les services d'accueil
d'urgences (SAU) de France sont "embouteillés" d'octogénaires
qui faute de structures de gériatrie aiguë en quantité
suffisante atterrissent dans des services de spécialité sans
relation avec leur maladie (service d'ORL par exemple) ; la situation
particulière ubuesque en région Île-de-France est
aggravée par le fait que pratiquement aucun SAU ne s'est doté
de la présence d'un médecin gériatre pour accueillir
ces flots d'octogénaires.
Les professionnels dénoncent mais les gouvernements ont des réponses technocratiques par exemple sur la maîtrise des dépenses de santé ou sur le passage aux 35 heures des personnels hospitaliers. Des progrès substantiels ne pourront venir à mon avis
que d'un mouvement consumériste de sexa et septuagénaires
qui voudront bien se projeter dix ou vingt ans en avant et refuser d'envisager
qu'on les soigne dans l'avenir comme le sont actuellement leurs parents.
Même si des débordements peuvent toujours être
regrettés, des associations comme ACT UP ont fait avancer la
cause du sida, je souhaite que des associations se créent (devront-elles
s'appeler OLD UP ?) et jouent un rôle de lobbying imposant
:
aux facultés d'organiser un enseignement de la gériatrie
à la hauteur des 50 % de personnes âgées de la
clientèle de tout médecin généraliste ;
aux hôpitaux de s'organiser en fonction de leur clientèle
et d'écrire un volet gériatrique digne de ce nom dans leur
SROS (schéma régional d'organisation sanitaire) ;
aux collectivités territoriales de mettre en place des moyens
d'aide au domicile accessibles où il ne faille pas attendre une place
en service de soins à domicile pendant quinze jours...
Quand ce consumérisme sera en marche et qu'il pourra lutter efficacement
contre les discriminations "âgistes" de notre société,
il aura aussi à se pencher sur le principal problème éthique
de notre monde, à savoir la prise en compte de la situation totalement
inégalitaire entre les continents. Le vieillissement à venir
le plus important concerne les pays en voie de développement. Que
faire pour soigner les vieillards quand les enfants souffrent de malnutrition
?
La version sur papier de
cet ouvrage a été réalisée par : Editorial Assistance - 18, rue Camille-Desmoulins - 92300 Levallois-Perret - Tél. : 01 41 34 02 60 © 2000, Jean Cohen, Patrick Madelenat, Rachel Levy-Toledano - ISBN 2-86911-958-5 Diffusion : Eska - 12, rue du 4-septembre - 75002 Paris - Tél. : 01 42 86 56 00 - Fax : 01 42 60 45 35 Diffusion sur l'internet : CNGOF (Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français) (30 mai 2000) |